Le manque de données de l'effet de COVID-19 sur les races au Canada perpétue le racisme systémique

Publié le lundi 14 septembre 2020

Auteur : Stephanie Wiafe et Prof. Robert Smith?

Agente des communications et de l'engagement,
Fondation HealthBridge du Canada

Chercheur affilié, ISSP
Professeur titulaire, modélisation des maladies, Faculté des sciences, uOttawa

Le racisme anti-noir et anti-autochtone est omniprésent dans tous les aspects de notre société, y compris la collecte et l'application de données sur la santé. La récente série très médiatisée de décès liés à la police de personnes noires et autochtones en Amérique du Nord amène beaucoup à se demander pourquoi les Canadiens noirs et autochtones souffrent et meurent de manière disproportionnée des brutalités policières. Nous devons également nous demander pourquoi les groupes marginalisés et racialisés connaissent des taux élevés de pauvreté et des conditions médicales étroitement liées aux déterminants sociaux de la santé tels que le diabète, les maladies cardiaques et le cancer et pourquoi ils font face à des obstacles pour accéder aux services publics et en bénéficier.

Une partie de la réponse à ces questions et à d'autres questions similaires concernant les disparités raciales au Canada peut être trouvée en examinant les racines du racisme anti-noir et anti-autochtone sur lequel notre pays a été construit, les systèmes et pratiques raciales inéquitables qui ont été établis et préservés pour aujourd'hui et l'absence de réparations pour les groupes racialisés. Si les réparations peuvent être financières (par exemple, des restitutions monétaires pour les descendants de personnes asservies), elles peuvent également prendre la forme d'une reconnaissance sociale des torts passés. En fin de compte, les réparations visent à réparer les dommages et injustices antérieurs à une personne ou à un groupe de personnes. Des réparations peuvent également avoir lieu dans le domaine de la recherche en santé et de la santé publique, grâce à la pratique de la collecte et de la présentation de données fondées sur la race et au processus décisionnel ultérieur fondé sur des données probantes pour lutter contre les disparités raciales en matière de santé.

Pour travailler à réduire et finalement éliminer le racisme systémique de nos systèmes de recherche en santé et de santé publique, ainsi qu'à réduire les disparités raciales en matière de santé, nous devons bien comprendre la portée et la gravité de ces problèmes. L'une des premières étapes pour réparer les dommages du racisme systémique dans le contexte de la santé publique implique la collecte et la présentation de données fondées sur la race pendant les crises de santé et la reconnaissance de la sous-représentation des groupes racialisés au Canada, comme les Canadiens noirs, dans le domaine de la recherche de la santé. Les données fondées sur la race permettent aux décideurs et au public de voir comment l'incidence, la prévalence et les impacts d'un état de santé ou d'une crise donnée diffèrent entre les races, révélant souvent que les groupes racialisés souffrent et meurent de manière disproportionnée par rapport à leurs homologues blancs, notamment en raison de des actes répréhensibles qui ont créé des disparités en matière de santé entre les races. Les inférences tirées de données fondées sur la race indiquent souvent un racisme systémique dans la société.

Malgré la capacité des données fondées sur la race à être un outil puissant pour lutter contre le racisme systémique dans la recherche en santé et en santé publique, leur collecte se heurte souvent à l'hésitation ou au refus des décideurs de la santé publique. Par exemple, le médecin hygiéniste en chef de l'Ontario, David Williams, PhD., a initialement soutenu que la collecte de données fondées sur la race en Ontario pendant la pandémie du COVID-19 n'était pas nécessaire, car les principaux groupes à haut risque de COVID-19 sont les personnes âgées, les personnes dont le système immunitaire est affaibli et celles présentant des comorbidités particulières. Il a également ajouté que, quelle que soit la race, la considération et la priorisation par le gouvernement de l’Ontario des groupes à haut risque sont égales. Cette réaction initiale d'un haut responsable de la santé publique était problématique, reflétant le refus de nombreux Canadiens d'accepter que le racisme systémique existe dans notre société et le manque de compréhension de la différence entre l'équité et l'égalité.

Bien que le gouvernement de l'Ontario puisse prétendre donner la priorité aux groupes à haut risque de la même manière, comme l'a déclaré David Williams, PhD., les effets du racisme systémique au Canada (par exemple, pauvreté, faible revenu et statut socio-économique, incapacité d'accéder et de se payer des services de santé non assurés) empêchent les groupes racialisés, comme les Canadiens noirs et autochtones, de bénéficier de la priorisation du gouvernement de la même manière que leurs homologues blancs. Finalement, en juin, le gouvernement de l'Ontario a proposé que tous les bureaux de santé recueillent des données fondées sur la race. Cette proposition est intervenue des mois après que la province a déclaré l'état d'urgence en raison du COVID-19 et seulement après plusieurs mois de pression sociétale pour insister sur la collecte de données fondées sur la race sur le cours de la pandémie. Ces données auraient dû être collectées dès le début de la pandémie, en particulier après que les premières preuves en provenance des États-Unis aient révélé qu'un nombre disproportionné de cas et de décès de COVID-19 concernait des Noirs américains. Ces disparités peuvent s'expliquer en partie par un manque d'accès aux ressources de dépistage et de soins de santé, un statut d'immigration précaire et des conditions de santé préexistantes, telles que des taux plus élevés d'obésité et de diabète dus à la malnutrition et à la pauvreté. De même, les communautés noires et immigrantes au Canada sont touchées de manière disproportionnée par le COVID-19. Le refus initial de collecter - ou le manque de considération - des données fondées sur la race dans la recherche en santé et pendant les crises sanitaires est une forme de racisme systématique et secret qui perpétue les disparités en matière de santé dans notre société.

D'autres provinces canadiennes, comme la Colombie-Britannique, ne recueillent pas de données fondées sur la race. Au niveau fédéral, l'Agence de la santé publique du Canada ne rassemble que des données démographiques de base, comme l'âge et le sexe, sur les personnes dont le test de dépistage du COVID-19 est positif. Ceci, malgré le fait que la maladie affecte de manière disproportionnée les communautés noires dans des juridictions similaires, comme les États-Unis. Un seul des treize instituts des IRSC se consacre à la santé des autochtones; la collecte de données fondées sur la race devrait être généralisée dans tous les instituts de recherche, le cas échéant (et non compartimentée). Cependant, il est encourageant de constater que les IRSC financent de nombreuses études portant sur la discrimination pendant la pandémie du COVID-19.

Nous recommandons fortement que le gouvernement fédéral rende obligatoire la collecte et la diffusion de données fondées sur la race pendant la crise sanitaire actuelle et future. L'Institut canadien de recherche en santé a publié des propositions de normes pour la collecte de données fondées sur la race, ce qui est un pas dans la bonne direction vers un effort concerté d'implication des groupes racialisés dans la santé et la recherche médicale à tous les niveaux. Si plusieurs organisations ont exprimé leur soutien aux groupes racialisés par des déclarations sur la diversité et l'inclusion, elles sont trop souvent performatives, sans apporter de changements tangibles pour lutter contre le racisme dans la recherche en santé et la santé publique. Il est essentiel que les groupes racialisés au Canada soient reconnus et pris en compte dans toutes les données sur la santé. Ce n'est qu'une étape dans le démantèlement du racisme systémique au Canada, mais c'est une étape importante.

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