
Rédacteur de contenu, Centre for Systems Solutions
Responsable des relations extérieures, International Institute for Applied Systems Analysis (IIASA); directrice interne, Dialogue Sciences et Politiques
Commissaire des étudiantes et étudiants internationaux, Fédération canadienne des étudiantes et étudiants
Rédactrice médicale; trésorière, Dialogue Sciences et Politiques; présidente du comité des subventions, Centre d’études sur la politique scientifique canadienne (CSPC)
Candidate au doctorat, Faculté de géographie, Université de Calgary
Coordination du forum public, Dialogue Sciences et Politiques
Accord de Paris, Conférence des parties et objectifs de développement durable : voilà quelques exemples des nombreuses initiatives internationales montrant que les pays du monde entier sont de plus en plus conscients de la nécessité de régler les crises émergentes, et disposés à s’y attaquer. Pour ce faire, il leur faudra redoubler et concerter leurs efforts sociaux pour assurer la durabilité et répondre aux revendications des jeunes et des groupes vulnérables. Or, la science joue un rôle déterminant dans l’accélération de ces changements et l’amélioration de l’efficacité décisionnelle et stratégique.
La gouvernance en matière de problèmes mondiaux demande une science inclusive et adaptée qui tient compte de la diversité des sources du savoir. Par exemple, les études sur les changements climatiques et les interventions dans ce domaine sont surtout menées dans l’hémisphère nord, mais les solutions mises de l’avant reçoivent rarement l’aval des communautés locales, qui sont pourtant souvent les principales concernées.
À l’heure où les scientifiques et les décisionnaires s’allient pour travailler et nouer des liens avec les communautés locales, nous avons l’occasion de définir l’interface science-politiques-société. Cette conversation tripartite vise donc à comprendre les réalités sur le terrain qui touchent la population locale, et à trouver des solutions qui règlent également les problèmes des communautés. Même si le lien intrinsèque et naturel entre la science, les politiques et la société est bien documenté, la mise en œuvre de processus décisionnels socialement acceptés reposant sur des données probantes demeure rare et inégalement répartie sur le globe. Vu cette lacune, il convient de trouver des moyens novateurs pour développer les capacités, et, ce faisant, de renforcer le rôle essentiel des cadres socio-politico-scientifiques afin d’ajouter poids et légitimité aux processus décisionnels et stratégiques.
Une interface science-politiques-société bien huilée est un écosystème dynamique de dispositions et processus organisationnels servant à structurer les relations entre différentes parties prenantes en présence de problèmes épineux. Complexe, elle repose sur une multitude de parties prenantes, de points de vue et de valeurs sociales (parfois contradictoires), ce qui complique le développement des capacités au sein de cet interface.
Les simulations d’interfaces science-politiques reproduisent diverses activités ou tâches qui permettent aux participantes et participants d’observer aux premières loges toute la complexité des processus de négociation et d’élaboration de politiques d’une interface science-politiques-société. Ces exercices sont un outil pédagogique efficace et flexible pour les jeunes chercheuses et chercheurs, de même que pour les décisionnaires.
Il s’agit là d’activités interactives dirigées où un groupe de personnes se réunit pour échanger des idées et des avis. De prime abord, elles font penser à un jeu multijoueur : chaque participante ou participant sélectionne un rôle stratégique ou scientifique dans une liste préétablie, et entre dans un monde fictif inspiré de lieux, d’événements et de problèmes réalistes. Dans ce monde, les participantes et participants interagissent entre eux de diverses manières. Néanmoins, un détail important différencie ces simulations des jeux : elles ne se concluent pas par l’atteinte d’un but ultime précis. En fait, c’est tout le contraire : leur structure complique l’atteinte d’un objectif. Souvent, la simulation est assortie d’un délai et prend la forme d’une série de négociations sur quelques points litigieux se rapportant à une problématique en particulier, par exemple l’avenir de l’Arctique. Chaque participante ou participant entame les négociations en se fondant sur ses propres priorités. Mais comme dans la vraie vie, ces priorités ne concordent pas forcément, et tout le monde tente de tirer la couverture de son bord. Le temps limité, les priorités concurrentes et l’incertitude engendrent ensemble un processus décisionnel empreint de réalisme. Ces simulations sociales permettent ainsi d’expérimenter et d’appliquer ce processus de l’intérieur. Cette nouvelle méthode efficace pourra servir à résoudre divers problèmes urgents.
Cascading Climate Impacts en est un exemple. Créée dans le cadre du projet multidisciplinaire CASCADES, cette simulation combine des analyses systémiques des domaines des sciences naturelles et sociales pour enseigner les futurs enjeux et possibilités en lien avec les effets planétaires des changements climatiques. Chaque atelier de simulation plonge des spécialistes, des décisionnaires, des stagiaires et des scientifiques en début de carrière dans des scénarios exigeants se déroulant à vive allure. Les participantes et participants négocient les aspects politiques et socioéconomiques complexes des problèmes transfrontaliers en cascade liés aux changements climatiques (événements météorologiques extrêmes, perturbations de la chaîne d’approvisionnement, hausse du volume des échanges commerciaux dans l’Arctique, etc.).
Le 22 juillet 2021, Dialogue Sciences et Politiques (DSP), l’International Institute for Applied System Analysis (IIASA) et l’Institut de recherche sur la science, la société et la politique publique (ISSP), en partenariat avec le Conseil national de recherches Canada (CNRC) et Mitacs, ont organisé ensemble le Raw Materials Challenge, une simulation de diplomatie scientifique interactive en ligne de quatre heures, dont le scénario se déroule dans un avenir proche. Les participantes et participants incarnaient des représentantes et représentants de divers gouvernements, d’organisations non gouvernementales, de l’industrie et de parties prenantes locales. Les négociations touchaient les facettes sociales, environnementales et opérationnelles de la gestion de la hausse de la demande en terres rares, lesquelles sont nécessaires à l’électrification de l’économie mondiale allant de pair avec une réduction de la dépendance aux combustibles fossiles. En tenant compte du rôle et de la fiche d’information qui leur avaient été distribués, les participantes et participants ont soumis au vote plusieurs des politiques internationales proposées avant d’amorcer des négociations diplomatiques avec leurs homologues.
Un retour a ensuite été effectué sur la difficulté de parvenir à un consensus concernant des enjeux déterminants – comme les normes environnementales et du travail ou les exigences en matière de transparence financière – lorsque le temps est limité et que de nombreux intérêts entrent en concurrence. Des questions qui semblaient très tranchées en Occident devenaient fort complexes lorsqu’on tenait compte de la situation internationale et des parties prenantes locales. Les participantes et participants ont dû remettre en question leurs préjugés et aborder sous un autre angle diverses questions, comme les normes d’exploitation minières mondiales et l’interdiction du travail des enfants. Par exemple, de leur côté, les nations riches et puissantes appuyaient fortement la mise en place de normes d’exploitation minière. Or, elles se sont heurtées à une forte opposition des nations riches en ressources, qui voyaient là une menace pour leur droit à l’autodétermination, et des coalitions sectorielles, qui faisaient valoir qu’une législation plus exigeante ferait grimper les coûts et ralentirait la production de métaux. De même, les politiques interdisant le travail des enfants ont suscité de l’opposition chez les nations où elles pourraient avoir des conséquences économiques dévastatrices pour les familles qui dépendent lourdement de cette source de revenus.
Comme dans la vraie vie, aucun consensus n’a pu être dégagé quant à la plupart des propositions de politiques. Les participantes et participants ont néanmoins eu l’occasion de se familiariser avec des enjeux stratégiques et diplomatiques, et de découvrir de nouveaux points de vue sur des problèmes liés à la transition mondiale vers les énergies propres. En combinant judicieusement des parties d’envergure mondiale et locale ainsi que des représentantes et représentants d’États, de la société civile, de la communauté scientifique et de l’industrie, la simulation a illustré la complexité de l’interface science-politiques-société, ainsi que l’importance du dialogue entre les parties prenantes et de la coopération internationale.
Grâce à cette interface, les participantes et participants ont pu prendre part à des négociations entre scientifiques et diplomates et constater la nécessité de revoir l’approche cloisonnée de chacune de ces communautés. En plus de sensibiliser la prochaine génération de chercheuses et chercheurs à l’apport essentiel de la science dans la société, ce type d’exercice est aussi un outil éducatif sur l’intégration de la science dans les processus stratégiques et diplomatiques.