Faire l'histoire des pandémies par les histoires de la science-fiction

Publié le lundi 25 mai 2020

Auteur : Jean-Louis Trudel

Jean-Louis Trudel

Écrivain en résidence de l'ISSP, auteur et historien

Les pandémies sont loin d'être nouvelles dans l'histoire de la science-fiction. C'est ce qui a fait de romans comme The Stand (1978) de Stephen King et de films comme Contagion (2011) de Steven Soderbergh des références familières au début du confinement, quand une population désorientée se cherchait des repères pour comprendre une réalité inédite. Quelques autres titres ont été dépoussiérés et redécouverts, d'ailleurs. J'aborderai ce phénomène dans un autre billet.

Néanmoins, le thème épidémique dans les œuvres de création ne se limite pas à fournir des bases de comparaison plus ou moins utiles. Si on se penche sur son histoire, on découvre une multitude de traitements qui en disent long sur les rapports des sociétés occidentales avec le fléau des maladies infectieuses. La crainte de l'effondrement ou de la disparition, le fantasme d'une instrumentalisation hostile de la maladie, l'exploitation de la peur et l'anticipation d'une prochaine pandémie figurent au nombre des sujets abordés par les créateurs.

J'établirai tout d'abord que le thème n'est ni neuf ni rare. Des centaines de romans, de nouvelles, de films et de jeux l'ont exploité. J'avais moi-même entrepris il y a quelques années de rédiger un texte décrivant l'apparition d'une nouvelle maladie infectieuse dans une Europe future. J'attendrai sans doute quelques années avant de le reprendre.

Ce que j'offrirai ici tiendra plutôt du survol pour confirmer à la fois l'ancienneté du thème et la variété de ses traitements, en commençant par une pionnière. On oublie souvent que Mary Shelley a signé, quelques années après Frankenstein, un deuxième roman d'anticipation. Le Dernier Homme (1826) décrit une pandémie mondiale au XXIe siècle qui menace de faire disparaître l'humanité au grand complet.

De fait, tout le XIXe siècle sera marqué par la récurrence d'épidémies de choléra, de l'Inde au Canada. La peur d'une épidémie meurtrière imprègne un conte célèbre d'Edgar Allan Poe, « The Masque of the Red Death » (1842), ainsi que la nouvelle « La peste à Bergame » (1882) de l'auteur danois Jens Peter Jacobsen. De nos jours, on s'inquiète du taux de mortalité masculine de la Covid-19, mais la nouvelle « A Legend » (1881) de l'écrivain Lafcadio Hearn imagine une maladie qui a tué tous les mâles de l'espèce sauf un.

À partir des années 1890, les progrès de la bactériologie permettent d'envisager l'instrumentalisation des microbes à des fins guerrières. Dans le roman The Germ Growers (1892), l'auteur irlando-australien Robert Potter imagine l'utilisation de germes infectieux par des êtres extraterrestres désireux de conquérir la Terre. Dans un autre ouvrage de la même époque, The Azrael of Anarchy (1894), le protagoniste déclenche une épidémie de choléra pour renverser la monarchie britannique. Sur un mode plus ironique, H. G. Wells conclut son roman War of the Worlds (1897) par la revanche des microbes terriens sur les envahisseurs martiens. En 1910, la nouvelle « The Unparalleled Invasion » de Jack London décrit un futur où des nations comme la Chine sont les victimes du déploiement d'armes biologiques.

Les tentatives d'employer des maladies comme le charbon et la morve durant la Première Guerre mondiale, en même temps peut-être que l'impact de la grippe espagnole, inspirent le protocole de Genève de 1925 qui bannit les armes biologiques. Malgré plusieurs programmes de développement de ces armes durant la Seconde Guerre mondiale, pas un pays, à l'exception du Japon, n'ose les déployer à grande échelle. La peur qu'elles nourrissent, par contre, persiste et permet de comprendre les théories de complot qui font du nouveau coronavirus une arme de guerre échappée d'un laboratoire chinois de Wuhan.

Au milieu du XXe siècle, les épidémies deviennent plutôt un moyen de parler des pires horreurs contemporaines, dont le totalitarisme montant des régimes fascistes et communistes. En 1937, une pièce de théâtre de l'auteur tchèque Karel Čapek, Bílá nemoc (La Maladie blanche ou La Peste blanche), condamne la réaction d'un dirigeant fasciste à l'apparition d'une nouvelle maladie. Un film en sera tiré la même année, mais l'avertissement lancé par l'auteur ne sera pas entendu et la Tchécoslovaquie sera abandonnée à Hitler l'année suivante à Munich. Après la Seconde Guerre mondiale, Albert Camus explorera dans le roman La Peste (1947) et la pièce de théâtre L'état de siège (1948) les réactions de toute une société à l'émergence d'épidémies incontrôlables. Dans ces ouvrages plus ou moins allégoriques, la peste suscite la peur et celle-ci permet parfois à des opportunistes d'accaparer le pouvoir, ce qui s'est constaté en Hongrie et ailleurs.

La pandémie de grippe asiatique en 1957-1958 redonne une dimension affreusement concrète à la possibilité que de nouvelles maladies infectieuses ravagent l'humanité. La nouvelle « Pandemic » de J. Franklin Bone paraît en 1962 en décrivant un virus épidémique qui s'attaque aux poumons mais qui peut être combattu avec succès par la nicotine.

Après la pandémie de grippe de Hong Kong en 1968-1969, la fiction s'empare de plus en plus souvent du thème. En 1973, Tom Ardies signe un roman intitulé Pandemic tandis que Geoffrey Simmons réutilise ce titre en 1980. Un des premiers ouvrages canadiens dans le genre, The Last Canadian (1974) de William Heine, évoque une hécatombe nord-américaine provoquée par un virus mortel porté par les vents.

Les progrès de l'ingénierie génétique, signalés par la conférence d'Asilomar, raniment la peur d'une guerre bactériologique dans des romans comme The Eyes of Darkness (1981) de Dean Koontz et The White Plague (1982) de Frank Herbert. L'épidémie de SIDA de la fin du siècle affecte aussi les esprits et inspire directement le récit de science-fiction Journals of the Plague Years (1988) de Norman Spinrad, dont le titre rend hommage à l'ouvrage de Daniel Defoe sur la grande peste de Londres en 1665.

L'éclosion de SRAS (2003) et la grippe pandémique H1N1 (2009) ont peut-être été un peu oubliées en raison de la crise économique, mais les créations se multiplient dans tous les domaines depuis le début du siècle. Un jeu de plateau populaire, Pandemic, est lancé en 2007, tandis que, la même année, un roman de la Québécoise Karine Glorieux, Myriam Fontaine Québec 2035, évoque les séquelles d'une épidémie d'Ebola au Canada vers 2020... Il serait encore possible de citer des films comme Blindness (2008), Daybreakers (2010), Rise of the Planet of the Apes (2011) et Contagion (2011), des jeux vidéo comme Plague, Inc. (2012) et The Last of Us (2013), la pièce de théâtre DEINDE (2012) d'August Schulenburg ou un roman à succès comme Station Eleven (2014) de la Canadienne Emily St. John Mandel. Ou encore le roman Aquariums de la Québécoise J. D. Kurtness, tout juste sorti l'an dernier...

Ce n'est qu'un aperçu. L'énumération exhaustive de tous les ouvrages de ces dernières années serait lassante, mais elle souligne à quel point de nombreux artistes donnaient l'alerte ces dernières années, le plus souvent dans des cadres propres au techno-thriller ou à la science-fiction.  De toute évidence, cela n'a pas suffi pour éveiller les consciences.

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